Christine Sun Kim

« La cOmmunAuté sourde doit cRéer sa propre musique »

Pourquoi ce titre ?
Lorsque je suis arrivée en Allemagne il y a quelques années, j’ai remarqué que certaines personnes utilisaient encore le terme dépassé de « sourd-muet » pour me décrire. Cela m’a fait réfléchir à la signification du mot « muet ». En anglais il y trois définitions pour le mot « mute ». La première, pour les situations de handicap : pas de voix, ou pas de son. Cela porte une connotation négative, signifie qu’on est sans pouvoir, sans possibilité de « parler ». La seconde, dans le contexte de la technologie, est très binaire : on peut « muter » ou « dé-muter » un écran, des haut-parleurs, des microphones. ON ou OFF, blanc ou noir. Enfin, dans le contexte musical, « mute » se traduit par « sourdine » et signifie adoucir le son. Il est possible d’avoir plusieurs niveaux de sourdine.

Est-ce que dans cette pièce musicale, vous transposez ce que vous montrez dans votre œuvre plasticienne ?
Mon travail concerne fondamentalement l’idée du son comme média. On pense souvent que le son doit être perçu avec les oreilles mais c’est beaucoup plus que cela. C’est moi qui prends des décisions pour les dessins, partitions et performances, donc tous représentent ma voix. Le son produit par mon travail n’est pas important pour moi, c'est le processus qui est primordial.

Comment traduire cela en musique ?
Je veux donner la possibilité au public de réfléchir à ce que « muet » signifie pour lui.
J’ai développé une partition sur la base de légendes sonores tirées de films et séries TV que j’ai regardés. J’utilise ces textes dans mes dessins, qui sont filmés en direct et présentés sur un écran. L’œuvre est liée à mon expérience de personne sourde. Quand j’étais plus jeune, les légendes sonores à la télévision étaient très limitées, réductrices et aussi courtes que possible. Aujourd’hui, elles sont beaucoup plus détaillées et éloquentes. Par exemple, elles sont passées de « musique » à « musique de fond, personnes en discussion ». Certaines sont même poétiques.
J’ai développé le concept de la pièce et créé une partition musicale . Serge Bonvalot, le directeur de Contrechamps, m’a assistée pour l’affiner, inclure des notes suite au travail avec l’ensemble. Après quelques filages, nous avons fait des ajustements pour rendre la pièce plus fluide.

Quelle est la place de la musique dans la communauté sourde ?
La poésie et la narration d’histoires y sont très importantes. Il y a des similarités avec la musique, mais je crois que nous devons nous décoloniser pour créer notre propre « musique », sans influences de l’extérieur, du mainstream, en laissant de côté ce que la communauté entendante nous a enseigné à propos du son, en l’explorant à notre manière. Je pense qu’il y a un intérêt naissant pour la musique dans la communauté sourde, un nouvel espace, qui pourrait déboucher sur des résultats intéressants dans une dizaine d’années.

1 NDLR : sous-titres descriptifs de son.
2 NDLR : Christine Sun Kim est diplômée de Musique et Son au Bard College de New York.

Propos recueillis par Axelle Corty.