Christelle Séry

« Je veux Emmener la guitAre électRique ailleuRs »

Vous êtes guitariste classique de formation, passée par le CNR de Nice et le CNSM de Paris. Comment avez-vous approché la guitare électrique ?
Je souhaitais jouer de la guitare de façon moins sacralisée : debout, dans des endroits un peu bruyants comme les bars, pour créer une proximité avec un public différent, dans une forme de jeu plus libre. J’ai créé un duo de chanson pop. J’aime tous les styles de musiques ! C’est dans ce contexte que j’ai commencé à brancher et débrancher des câbles. À la même époque, j’ai commencé à m’intéresser à la musique contemporaine et je me suis aperçue que ma formation classique était recherchée dans ce milieu, aussi bien pour la guitare acoustique qu’électrique. Peu de guitaristes ont une pratique de la musique d’ensemble et trop peu de guitaristes électriques savent lire une partition, s’approprier un langage complexe, suivre un chef…

Comment est né le projet de « Pages électriques » ?
En 2014, constatant que le répertoire pour guitare électrique solo était plutôt restreint, j’ai demandé à des compositeurs non guitaristes de faire un bout de chemin avec moi. Je voulais qu’ils livrent tout ce que la guitare électrique leur inspirait. Je rêvais d’une utilisation de l’instrument loin des clichés.

Quels clichés par exemple ?
Principalement celui du « guitar hero » au jeu très exubérant, lié à l’histoire du rock’n’roll, une histoire dont la guitare électrique est inséparable. Je ne veux pas révolutionner cette histoire, mais sortir la guitare électrique d’un déterminisme. C’est passionnant : non seulement la pensée musicale des compositeurs n’est pas altérée par la pratique de l’instrument, mais en plus il n’y a pas encore d’habitude d’écriture pour la guitare électrique car sa jeune histoire est liée à l’improvisation et aux musiques populaires, donc à des œuvres non-écrites.

Quel est l’histoire du répertoire écrit pour guitare électrique ?
On utilise la guitare électrique en orchestre pour développer une orchestration différente, déployer les cordes et les vents avec les données spectrales qu’elle apporte. On trouve de la guitare électrique dans Passaggio de Luciano Berio, écrit en 1961. Gérard Grisey l’utilise avec l’accordéon dans Transitoires en 1981, avec des effets de saturation. Il y a aussi des œuvres solo à l’esthétique héritée du rock’n’roll, des bijoux comme Vampyr ! de Tristan Murail (1980) ou Trash TV Trance de Fausto Romitelli (2002).

« Pages électriques » a-t-il-comblé vos attentes en matière de renouveau du répertoire ?
J’ai servi de médiateur entre une pensée musicale et une réalisation instrumentale. Karl Naegelen repense totalement le rapport guitare-voix, en le traitant dans l’épure totale. Lin Ni-Liao détourne le glissement du bottleneck sur les cordes, utilisé dans le blues et la musique hawaïenne, pour donner au son de la guitare des allures de voix humaines. Frédéric Pattar utilise les capacités d’instrument augmenté de la guitare électrique. Avec des boucles, il superpose onze parties de guitares jouées, dans un effet d’intensité croissante, pour s’achever dans une sorte de plain-chant ou je joue au e-bow, un archet électronique... C’est passionnant d’être à l’origine de la naissance de sons nouveaux.

Propos recueillis par Axelle Corty.