Benjamin de La Fuente

PropOSeR un CoNTEXTe D'écOute

Est-ce que l’interprète que vous êtes est également présent dans des compositions que vous n’interprétez pas ? Comme dans Bypass que jouera Ictus par exemple ?
Je n’ai jamais écrit — ou très rarement — une pièce sans penser aux interprètes. Je pense à la personne avant même son instrument. Bypass est une des quatre pièces que j’ai écrites en 2011 pour le Liquid Room #3, produit et joué par Ictus. Je jouais aussi dans une de mes pièces et j’ai fait une ou deux improvisations lors de cette longue soirée (trois heures !). Une soirée inoubliable et épanouissante dans laquelle j’étais à la fois interprète, improvisateur et compositeur.

Avez-vous des préférences quant aux interprètes pour lesquels vous allez travailler ? Quelle est la part de l’adaptation à leurs personnalités dans la composition ?
J’aime les interprètes qui font preuve d’initiative face à la partition. Qu’ils s’engagent et se responsabilisent. Le musicien qui sait "tout jouer" ne m’inspire pas (plus) du tout. Quand j’écris pour un interprète, je le vois jouer. L’adaptation se fait inconsciemment. L’idée musicale vient assez naturellement.

Quel dialogue établissez-vous avec l’interprète dans ce cas ?
Le plus important est d’établir un rapport de totale confiance. Je ne cherche pas nécessairement à faire improviser l’interprète — sauf s’il le demande et si j’ai du temps avec lui ou bien si le contexte l’exige : une mise en scène par exemple. Je ne cherche pas non plus à le mettre en danger mais plutôt à ce qu’il s’engage totalement. La physicalité, le geste sont aussi très importants pour moi. Je pense avoir le même genre de comportement qu’un metteur en scène pourrait avoir avec son acteur.

Vous êtes aussi connu (avec Caravaggio notamment) pour inventer de nouveaux formats, notamment scénographiés et scénarisés : pourquoi et comment ?
Je conçois toujours un spectacle ou une scénographie comme un moyen d’entendre autrement. Je ne cherche pas de prime abord à raconter une histoire. Mon travail est de proposer un contexte d’écoute. Paradoxalement, dans un spectacle, tout est pensé pour l’oreille. L’œil doit être au service de l’oreille. La musique n’accompagne rien. Elle est le sujet principal et est génératrice de mouvement ou de lumière.

Dans le cas de l’autre spectacle, The Other (in)Side, vous « réinterprétez » une œuvre existante : quelle a été votre démarche ? Est-ce celle d’un Berio ou d’un Henry avec Beethoven, ou autre chose ?
Dans The Other (in)Side, je ne suis pas interprète, seul l’ensemble TM+ est sur le plateau. J’ai conçu tout le spectacle et la mise en scène, même si j’ai eu besoin d’un metteur en scène comme Jos Houben pour mettre en place toute la dimension burlesque du projet. L’idée est d’assister à une impossible séance d’enregistrement de L’histoire du Soldat et d’élaborer une multitude d’incidents afin de basculer progressivement dans une dimension surréaliste. Pendant des semaines, je me suis imprégné de presque toute l’œuvre de Stravinsky - et pas seulement le Soldat - pour que ma musique puisse émerger naturellement de la sienne au cours du spectacle. Le rôle de ma musique dans The Other (in)Side est d’être l’élément perturbateur diabolique de cette terrible session d’enregistrement, qui ne se passera pas comme prévu.

En l’occurrence, vous collaborez avec l’Ensemble TM+, qui connait très bien l’œuvre originelle pour l’avoir déjà jouée plusieurs fois : comment avez-vous travaillé avec eux ?
J’ai fait, avec les musiciens, deux ou trois lectures d’esquisses et quelques expérimentations sonores. Jos Houben est aussi venu les initier au plateau et au burlesque. J’ai ensuite écrit la partition ainsi que la conduite toute entière, sans les solliciter. C’est un spectacle où il n’y pas d’improvisation. Les musiciens ne le désiraient pas.

Propos recueillis par Jérémie Szpirglas.